Théophile Gautier, « Musée secret », L’Œuvre libertine des poètes du XIXe siècle, pièces recueillies par Germain Amplecas, Bibliothèque des curieux, collection « Les maîtres de l’amour », Paris, 1918, pp. 172-176.
Voici une pièce avouée de Théophile Gautier. (Poésies complètes. — Paris, Charpentier, 1876, in-12, tome II, 339 pp. On lit sur la page en regard du titre : Il a été tiré quinze exemplaires semblables à celui-ci. Il est interdit de les mettre dans le commerce.) Elle est célèbre et fort belle. Gautier s’y montre tel qu’il était, un grand artiste amant de la Beauté. Ce poème eût été digne de Goethe, mais Gautier seul pouvait l’écrire. On dit que Gautier aurait pu être, si la vie ne l’avait contraint à des travaux misérables et absorbants, un Goethe français. Leurs noms se ressemblent. Il n’y a pas de pièces dans toutes les littératures du monde où l’art plastique, la nudité souveraine, aient été chantés avec un lyrisme plus pur, plus noble, plus parfait. La pièce dont je parle et que j’admire au delà de toute expression, faisait partie des Émaux et Camées, et fut retirée par l’auteur. Elle porte un titre napolitain Musée secret.
Des déesses et des mortelles,Quand ils font voir les charmes nus,Les sculpteurs grecs plument les ailesDe la colombe de Vénus.Sous leur ciseau s’envole et tombeLe doux manteau qui la revêt,Et sur son nid froid la colombeTremble sans plume et sans duvet.Ô grands païens, je vous pardonne !Les Grecs enlevant au contourLe fin coton que Dieu lui donneOtaient son mystère à l’amour ;Mais nos peintres tondant leurs toilesComme des marbres de ParosFauchent sur les beaux corps sans voilesLe gazon où s’assied Eros.
À la fin du XIXe siècle, les sculpteurs et les peintres sont moins prudes. Non qu’ils aient tous du talent ; mais ils peignent ou sculptent souvent des nudités toisonnées. On m’a dit cependant que les jeunes peintres n’étaient plus sensuels et que nous allions avoir une peinture où les belles formes humaines et la représentation des beautés féminines, qui parlent aux sens des gens sains et bien constitués, n’allaient plus pour un temps entrer en ligne de compte pour les artistes qui ne prisent plus que la technique de leur art et les effets soit du coloris, soit de la composition ; mais la beauté, chers enfants, n’est-elle point comme de la plastique, de la lumière, de la lumière ?
Pourtant jamais beauté chrétienneN’a fait à son trésor cachéUne visite athénienne,La lampe en main, comme Psyché.Au soleil tirant sans vergogneLe drap de la blonde qui dort,Comme Philippe de Bourgogne,Vous trouveriez la Toison d’Or ;Et la brune est toujours certaineD’amener au bout de son doigt,Pour le diable de La Fontaine,Le cheveu que rien ne rend droit.
Cette allusion au diable de Papefiguière est piquante.
D’autre part, Théophile Gautier a bien raison de parler ici de la brune, car il est des blondes, surtout en Hollande, qui sont moins frisées. Voici la suite qui est une admirable évocation de tableaux célèbres :
Aussi, j’aime tes courtisanesEt tes nymphes, ô Titien,Roi des tons chauds et diaphanes,Soleil du ciel vénitien.Sous une courtine pourpréeElles étalent bravement,Dans sa pâleur mate et dorée,Un corps superbe où rien ne ment.Une touffe d’ambre soyeuseVeloute, sur leur flanc poli,Cette envergure harmonieuseQue trace l’aine avec son pli.Et l’on voit sous leurs doigts d’ivoire,Naïf détail que nous aimons,Germer la mousse blonde ou noireDont Cypris tapisse ses monts.À Naple ouvrant ses cuisses rondes,Sur un autel d’or, DanaéLaisse du ciel, en larmes blondes,Pleuvoir Jupiter monnayé.Et la Tribune de FlorenceAu cant choqué montre VénusBaignant avec indifférence,Dans son manchon, ses doigts menus.
Puis, quand il quitte l’Art italien, si lyriquement célébré, Gautier évoque ses souvenirs pour chanter la nature, et ces seize vers sont un des plus beaux et des plus nobles poèmes qui soient.
Maître, ma gondole à VeniseBerçait un corps digne de toiAvec un flanc superbe où friseDe quoi faire un ordre de roi.Pour rendre sa bonté complète,Laisse-moi faire, ô grand vieillard,Changeant mon luth pour ta palette,Une transposition d’art.Oh ! comme dans la rouge alcôve,Sur la blancheur de ce beau corps,J’aime à voir cette tache fauvePrendre le ton bruni des orsEt rappeler, ainsi posée,L’Amour sur sa mère endormi,Ombrant de sa tête friséeLe beau sein qu’il cache à demi.
Image charmante ! Je n’en connais pas de plus délicate.
Dans une soie ondée et rousse,Le fruit d’amour y rit aux yeux,Comme une pêche sur la mousseD’un paradis mystérieux.Pomme authentique d’Hespéride,Or crespelé, riche toison,Qu’aurait voulu cueillir AlcideEt qui ferait voguer Jason !Sur ta laine annelée et fineQue l’art toujours voulut raser,Ô douce barbe féminine,Reçois mon vers comme un baiser,Car il faut des oublis antiquesEt des pudeurs d’un temps châtréVenger dans des strophes plastiques,Grande Vénus, ton mont sacré.
Cette pièce païenne de Théophile Gautier mérite d’être connue de tous ceux qui aiment les beaux vers. Si j’avais un enfant et que ce fût un garçon, je les lui ferais apprendre plutôt que toutes les fausses tristesses de Musset qui gâtent le goût et ne signifient pas grand’chose.
Texte établi par EROS-THANATOS.COM d’après le poème de Théophile Gautier, « Musée secret », L’Œuvre libertine des poètes du XIXe siècle, pièces recueillies par Germain Amplecas, Bibliothèque des curieux, collection « Les maîtres de l’amour », Paris, 1918, pp. 172-176.
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